lundi 30 décembre 2013

De noJazz à Teo Macero




J’avais gardé contact avec Teo Macero, producteur de Miles Davis et Charlie Mingus. Nous avions réalisé un album des Lounge Lizards pour Europa et sympathisé à cette occasion. Je pense qu’il s’etait attaché à ce « frenchy » qui ne vivait que pour une passion, la musique, naviguant comme un poisson dans l’eau, du Bronx à l’East Village, allant écouter un soir Ornette Coleman, le lendemain Prince, un autre jour le New York Philarmonic. Suivre des cours à Juilliard, ou lui-meme avait étudié, etait une distinction evidente qui m’avait fait accepté par quelqu’un qui ne se livrait peu. Lui aussi ne vivait que pour la musique et jusqu’au bout, alors qu’il disposait de tout ce dont la vie offre, produisit des albums à son compte dans son « home studio » de Quoge, petite ville des Hamptons, le Deauville New Yorkais. Aucun ne virent le jour car seul comptait pour Teo leur composition et réalisation et il ne se préoccupa pas véritablement de leur commercialisation. Pourtant les plus grands musiciens n’hésitaient pas à faire le long trajet jusqu'à cette pointe extrême de Long Island pour avoir le privilège d’enregistrer avec le « maitre ».

Teo pouvait etre tyrannique en studio, d’une exigence impitoyable, allant presque assaillir physiquement un interprète qu’il jugeait défaillant pendant une séance d’enregistrement, mais tout lui etait pardonné tant son amour de la musique passait avant tout . Les musiciens le respectaient et plaçaient leur confiance en lui. L’anecdote est connue d’un Miles Davis de passage au studio pour quelques instants, le laissant terminer l’album à partir des seules minutes qu’ils avaient eut le temps d’enregistrer.
De celles-ci, Teo produisit des chefs d’œuvres comme « In A Silent Way », « Jack Johnson ».
Il etait respecté et respectueux des artistes, un intégriste de la musique: je le vis un soir furieux contre la maison de disques qui commercialisait des bandes « inédites » de Miles Davis. La raison en etait simple, me dit il : si elles n’avaient pas été publiées, c’est qu’elles ne le méritaient pas.
Peut etre les maisons de disques auraient elles du écouter plus attentivement des Teo Macero et autres « intégristes »qui s’opposaient au repackaging incessant des mêmes albums pour donner l’impression d’un produit neuf.
Ecouter ceux qui refusaient la fragmentation de l’œuvre d’un artiste pour nourrir d’innombrables compilations et objectaient à la commercialisation, artistiquement injustifiée, d’albums à l’exception de la publication de une ou deux chansons.

Une fois les maquettes écoutées il se rendit à Paris entendre noJazz dans une petite salle comble et survoltée de la rue Oberkampf. Teo n’etait pas homme à perdre son temps et nous décidâmes sur le champ que le groupe se rendrait à New York dès que possible enregistrer l’album sous sa direction.
Luc et moi mirent mains à nos poches et prirent le risque que seuls des entrepreneurs prennent, financer l’enregistrement à nos risques et périls si finalement le contrat n’etait pas signé avec Warner Music.
A mi-aout 2001, ayant pris la précaution d’arriver quelques jours auparavant, j’attendis nos martiens à l’aéroport de Newark. Direction, un petit studio de Mercer Street dans le quartier de Soho, non loin du World Trade Center.

Teo produisit l’album en seulement quelques jours. Il est vrai, le groupe etait bien préparé grâce aux concerts des mois précédents. Tous étaient de remarquables musiciens et plus d’un visiteur de passage au studio, musiciens, techniciens, s’arrêtaient pour découvrir ces musiciens français produits par le grand Teo Macero. J’avais été impressionné par le jeu de Nicolas Folmer que je considère, et ne suis pas le seul, comme le meilleur trompettiste de jazz en France mais Teo fut subjugué par le jeu de batterie de Bilbo.
Puissant, chaque nuance installant la pulsion rythmique de l’ensemble, permutant avec dextérité accelerando et ralentissements, décalant ainsi adroitement les mélodies, il organisait une architecture souple à l’intérieur d’une maitrise du tempo toujours régulière. Pour Teo, il n’y avait pas de doutes, il etait le meilleur musicien de l’ensemble.
Si Miles Davis etait vivant, Bilbo aurait certainement eut l’opportunité de rejoindre son groupe!

Nous retournâmes à Paris le 10 septembre 2001 sauf Luc qui remis son voyage au lendemain et resta bloqué plus de trois semaines à New York.
De retour nous décidèrent de remixer l’album pour lui donner une orientation un peu plus « dance » car nous ne l’avions pas véritablement capturée sous l’impulsion de Teo, celle-ci étant d’une tonalité plus Jazz.
Teo ne fut pas heureux de cette décision et il me fallut beaucoup de diplomatie et d’explications pour qu’il l’acceptât.

Sa version, l’album que nous avons appelé « noJazz : The Original Teo Macero Recordings » n’est jamais sorti.
Pourtant il nous nous avait réservé une surprise en incorporant dans celui-ci un enregistrement de la trompette de Miles Davis. Ceci signifiait combien il s’etait approprié notre projet et je trouvais là un formidable compliment de la part de quelqu’un qui avait travaillé avec Duke Ellington, Elsa Fitzgerald, Thelonius Monk, resté à l’écoute des musiques nouvelles comme celles des Lounge Lizards et plus tard noJazz.

Merci, Teo.

A suivre...





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